"La Cour constitutionnelle a pris une décision qui satisfait le parti Peua Thai au pouvoir. Elle estime en effet que son projet de réforme de la constitution ne menace pas la monarchie.
Quelques heures avant le jugement de la Cour constitutionnelle le 13 juillet en début d’après-midi, certains évoquaient encore la possibilité d’une guerre civile. Finalement, les huit juges ont décidé de rejeter les recours déposés par l’opposition allégeant que le parti gouvernemental voulait renverser la monarchie absolue en changeant la constitution. La Cour a motivé sa décision en précisant que cette accusation était basée sur un procès d’intention. Dans la foulée, les juges ont estimé que le rejet de ces recours rendait caduque la demande de dissolution du parti Peua Thai. Ces décisions ont provoqué la joie des Chemises rouges, les partisans de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, dont la sœur cadette Yingluck est actuellement à la tête du gouvernement. Ce dernier ainsi que plusieurs leaders du parti Peua Thai se sont dits satisfaits aussi de ce verdict.
Deux des leaders des Chemises rouges, Jatuporn Prompan et Thida Thavornseth, ont toutefois exprimé un certain mécontentement, car la Cour a aussi estimé que la majorité parlementaire ne pouvait pas convoquer une assemblée constituante pour réécrire une nouvelle constitution sans un référendum préalable. Leur argument est que, comme la constitution de 2007, mise en place après le coup d’Etat de septembre 2006, a été approuvée par un référendum, seule une consultation similaire peut ouvrir la voie à un changement de constitution. Selon les juges, les articles de la constitution «qui posent problème» pourront toutefois être amendés un par un par la voie parlementaire.
Ce jugement a permis d’apaiser les tensions qui s’étaient accumulées ces dernières semaines autour de ce projet de loi d’amendement constitutionnel. La crise politique, qui voit s’affronter les élites conservatrices et les forces favorables à une plus grande égalité sociale, n’est pas réglée pour autant".
Mais "la décision de la Cour constitutionnelle du 13 juillet, rejetant les accusations de renversement de la monarchie absolue à l’encontre du parti Peua Thaï au pouvoir en Thaïlande, n’a fait qu’apporter un répit.
Selon une première approche, la décision de la Cour constitutionnelle du 13 juillet suit le modèle thaïlandais classique de l’évitement des conflits, une attitude mi-figue mi-raisin qui ne satisfait vraiment personne mais apaise les tensions à court terme. Le nœud n’est pas tranché, ni même dénoué, mais il a été un peu desserré et personne n’a été étranglé. L’arrêt de la Cour devrait constituer un sujet de réflexion pour les étudiants en droit public, tant il est perclus d’ambiguïtés. La déclaration de compétence de la Cour est plus que douteuse. L’exigence d’un référendum préalable à la convocation d’une assemblée constituante est sans doute une première dans l’histoire constitutionnelle mondiale (même les Suisses pourraient s’en étonner). C’est comme de demander aux électeurs de voter sur la nécessité d’organiser des élections anticipées.
Si l’on essaie de dépasser les arguties, manœuvres et fausses justifications, on peut esquisser un tableau plus net. L’enjeu est le retour de l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra, condamné à deux ans de prison en 2008 pour abus de pouvoir dans le cadre d’un procès jugé être un «procès politique» par la grande majorité de la communauté internationale. Thaksin est un politicien thaïlandais cynique, corrompu comme la plupart des autres, qui se soucie des droits de l’Homme comme d’une guigne et qui s’épanouit dans l’exercice du pouvoir. Mais il est celui qui a été élu – lui ou ses représentants – cinq fois de suite par les Thaïlandais, en 2001, 2005, 2006, 2008 et 2011. L’élite conservatrice ne lui reproche pas son mépris des droits de l’Homme – elle n’a pas levé le petit doigt quand les militaires sous les ordres de Thaksin ont massacré les musulmans Malais à Tak Bai en octobre 2004, ni lors de la meurtrière «guerre contre la drogue» au début de 2003 -, mais plutôt de ne plus partager le gâteau en parts égales et de déstabiliser le statu quo centré autour de la monarchie. Les intérêts économiques derrière ce statu quo sont énormes.
D’où le dilemme dans lequel se débat la Thaïlande depuis des années : l’homme qui semble être le passage obligé pour une société plus démocratique est lui-même un politicien aux tendances autocratiques, une sorte de Juan Peron asiatique, dont l’Evita a préféré s’éloigner. Retirer Thaksin de l’équation la rend-elle plus simple à résoudre ? Pas forcément, car la querelle entre divers groupes de l’élite a donné naissance à un phénomène nouveau en Thaïlande, l’émergence d’un vaste mouvement populaire qui remet en question les fondements de cette société fortement hiérarchisée : monarchie intouchable, droit des militaires d’intervenir en politique, arrogance de l’appareil judiciaire et de nombreux corporatismes d’élite, comme par exemple celui des médecins ou des hauts fonctionnaires. Ce mouvement a été au départ manipulé par le clan Thaksin, mais il commence, au moins en partie, à échapper à son contrôle et même au contrôle de la direction de l’Union pour le Développement de la Démocratie (UDD). Il reste informe et sans leader réel, mais la direction est nette : une courbe de collision se dessine avec les forces de l’establishment, paniquées par la rapidité des changements d’attitude. Le peu d’affluence aux dernières manifestations royales – et la nécessité d’organiser des convois de Chemises roses (proches de l’opposition démocrate) – est un signe. Les réactions du public lors de plusieurs séminaires et colloques sur la monarchie ont été parlantes. Si les tensions et la menace de violence deviennent telles qu’un coup d’Etat apparaît nécessaire aux conservateurs, cette tendance de fond, qui cherche confusément à donner de nouvelles bases à une société bloquée, n’en serait que ralentie. "
Quelques heures avant le jugement de la Cour constitutionnelle le 13 juillet en début d’après-midi, certains évoquaient encore la possibilité d’une guerre civile. Finalement, les huit juges ont décidé de rejeter les recours déposés par l’opposition allégeant que le parti gouvernemental voulait renverser la monarchie absolue en changeant la constitution. La Cour a motivé sa décision en précisant que cette accusation était basée sur un procès d’intention. Dans la foulée, les juges ont estimé que le rejet de ces recours rendait caduque la demande de dissolution du parti Peua Thai. Ces décisions ont provoqué la joie des Chemises rouges, les partisans de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, dont la sœur cadette Yingluck est actuellement à la tête du gouvernement. Ce dernier ainsi que plusieurs leaders du parti Peua Thai se sont dits satisfaits aussi de ce verdict.
Deux des leaders des Chemises rouges, Jatuporn Prompan et Thida Thavornseth, ont toutefois exprimé un certain mécontentement, car la Cour a aussi estimé que la majorité parlementaire ne pouvait pas convoquer une assemblée constituante pour réécrire une nouvelle constitution sans un référendum préalable. Leur argument est que, comme la constitution de 2007, mise en place après le coup d’Etat de septembre 2006, a été approuvée par un référendum, seule une consultation similaire peut ouvrir la voie à un changement de constitution. Selon les juges, les articles de la constitution «qui posent problème» pourront toutefois être amendés un par un par la voie parlementaire.
Ce jugement a permis d’apaiser les tensions qui s’étaient accumulées ces dernières semaines autour de ce projet de loi d’amendement constitutionnel. La crise politique, qui voit s’affronter les élites conservatrices et les forces favorables à une plus grande égalité sociale, n’est pas réglée pour autant".
Mais "la décision de la Cour constitutionnelle du 13 juillet, rejetant les accusations de renversement de la monarchie absolue à l’encontre du parti Peua Thaï au pouvoir en Thaïlande, n’a fait qu’apporter un répit.
Selon une première approche, la décision de la Cour constitutionnelle du 13 juillet suit le modèle thaïlandais classique de l’évitement des conflits, une attitude mi-figue mi-raisin qui ne satisfait vraiment personne mais apaise les tensions à court terme. Le nœud n’est pas tranché, ni même dénoué, mais il a été un peu desserré et personne n’a été étranglé. L’arrêt de la Cour devrait constituer un sujet de réflexion pour les étudiants en droit public, tant il est perclus d’ambiguïtés. La déclaration de compétence de la Cour est plus que douteuse. L’exigence d’un référendum préalable à la convocation d’une assemblée constituante est sans doute une première dans l’histoire constitutionnelle mondiale (même les Suisses pourraient s’en étonner). C’est comme de demander aux électeurs de voter sur la nécessité d’organiser des élections anticipées.
Si l’on essaie de dépasser les arguties, manœuvres et fausses justifications, on peut esquisser un tableau plus net. L’enjeu est le retour de l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra, condamné à deux ans de prison en 2008 pour abus de pouvoir dans le cadre d’un procès jugé être un «procès politique» par la grande majorité de la communauté internationale. Thaksin est un politicien thaïlandais cynique, corrompu comme la plupart des autres, qui se soucie des droits de l’Homme comme d’une guigne et qui s’épanouit dans l’exercice du pouvoir. Mais il est celui qui a été élu – lui ou ses représentants – cinq fois de suite par les Thaïlandais, en 2001, 2005, 2006, 2008 et 2011. L’élite conservatrice ne lui reproche pas son mépris des droits de l’Homme – elle n’a pas levé le petit doigt quand les militaires sous les ordres de Thaksin ont massacré les musulmans Malais à Tak Bai en octobre 2004, ni lors de la meurtrière «guerre contre la drogue» au début de 2003 -, mais plutôt de ne plus partager le gâteau en parts égales et de déstabiliser le statu quo centré autour de la monarchie. Les intérêts économiques derrière ce statu quo sont énormes.
D’où le dilemme dans lequel se débat la Thaïlande depuis des années : l’homme qui semble être le passage obligé pour une société plus démocratique est lui-même un politicien aux tendances autocratiques, une sorte de Juan Peron asiatique, dont l’Evita a préféré s’éloigner. Retirer Thaksin de l’équation la rend-elle plus simple à résoudre ? Pas forcément, car la querelle entre divers groupes de l’élite a donné naissance à un phénomène nouveau en Thaïlande, l’émergence d’un vaste mouvement populaire qui remet en question les fondements de cette société fortement hiérarchisée : monarchie intouchable, droit des militaires d’intervenir en politique, arrogance de l’appareil judiciaire et de nombreux corporatismes d’élite, comme par exemple celui des médecins ou des hauts fonctionnaires. Ce mouvement a été au départ manipulé par le clan Thaksin, mais il commence, au moins en partie, à échapper à son contrôle et même au contrôle de la direction de l’Union pour le Développement de la Démocratie (UDD). Il reste informe et sans leader réel, mais la direction est nette : une courbe de collision se dessine avec les forces de l’establishment, paniquées par la rapidité des changements d’attitude. Le peu d’affluence aux dernières manifestations royales – et la nécessité d’organiser des convois de Chemises roses (proches de l’opposition démocrate) – est un signe. Les réactions du public lors de plusieurs séminaires et colloques sur la monarchie ont été parlantes. Si les tensions et la menace de violence deviennent telles qu’un coup d’Etat apparaît nécessaire aux conservateurs, cette tendance de fond, qui cherche confusément à donner de nouvelles bases à une société bloquée, n’en serait que ralentie. "
Merci pour l'info. En 2007, nous avons vécu à Bangkok les manifestations des chemises rouges contre les chemises jaunes. Ici aussi au Québec (mais dans un tout autre ordre de grandeur) nous vivons un affrontement entre un mouvement plutôt conservateur et un autre plus populaire ...
RépondreSupprimer