lundi 20 février 2012

Thaïlande: débats autour du crime de lèse-majesté


Les débats autour de la loi de lèse-majesté en Thaïlande ont pris de l'ampleur ces dernières semaines, sans que je n'arrive à trouver un ou plusieurs articles explicitant ce sujet complexe et surtout particulièrement sensibles pour les Thaïs, ou alors je n'avais pas les clés pour comprendre ces articles dans leurs références historiques ou culturelles, comme par exemple la référence à ce qui s'est passé sur le campus de la fac de  Thammasat  en 76 (juste in-con-nue au bataillon!). A part peut-être l'article de Michèle Jullian sur son blog, qui m'avait apporté des débuts de réponse... C'est chose faite avec cet excellent article du Monde, que je partage avec plaisir aujourdhui, car il permet enfin d'y comprendre quelque chose!
" Le débat autour de la loi de lèse-majesté en Thaïlande ne faiblit pas. Tous les jours ou presque, la presse publie son lot d'articles et de chroniques à propos des excès liés au fameux article 112 : cet article du code pénal permet de condamner à de lourdes peines toute personne insultant "le roi, la reine, le prince héritier ou le régent".
Deux camps s'opposent : d'un côté, les "hypermonarchistes", pour  reprendre l'expression d'un chercheur thaïlandais, qui entendent défendre mordicus l'institution royale ; de l'autre, les "réformateurs", c'est-à-dire les partisans de l'amendement d'une loi qu'ils jugent abusive et de plus en plus instrumentalisée à des fins politiques. Une certitude : tout récemment encore, un tel débat aurait été impensable tant la révérence pour la monarchie est ici affaire de référence...
Depuis que les procès à charge invoquant l'article 112 se sont multipliés, les cercles d'intellectuels ou de citoyens hostiles à cette dérive s'élargissent. Ironie de l'Histoire : au temps de la monarchie absolue - renversée par une révolution en 1932 -, on ne sévissait pas à ce propos avec la même constance que sous l'actuelle monarchie constitutionnelle. Pas assez constitutionnelle, d'ailleurs, observent les mauvais esprits selon lesquels l'axe "palais-armée" bride fortement toute démocratisation réelle de la Thaïlande.
Tout dernièrement, le débat s'est déplacé sur le terrain de l'université Thammasat, l'une des plus prestigieuses de Bangkok. Le groupe Nitirat - la "loi pour le peuple" -, qui réunit des partisans d'un amendement à l'article 112 sous l'égide de sept professeurs de droit, s'est d'abord vu interdire l'utilisation des locaux de l'université pour s'exprimer publiquement sur le sujet. Le recteur de Thammasat a même été jusqu'à dire qu'il fallait éviter de débattre de questions si sensibles sur un campus qui a déjà vu couler le sang : le 6 octobre 1976, une centaine d'étudiants furent tués, pendus ou brûlés vifs par l'armée alors que des milliers d'entre eux venaient de protester contre le retour au pays d'un ancien dictateur militaire...
Pour disproportionnée qu'ait pu être la mise en garde du recteur, on voit bien à quel point de tels débats sont porteurs de violence dans une société en pleine quête identitaire. Qui vient de sortir d'une période de violence après l'épisode du "mouvement des chemises rouges" : en 2010, ces "indignés" thaïs paralysèrent une partie du centre de Bangkok pour marquer - entre autres - leur hostilité contre une élite et un establishment pour lesquels la monarchie représente précisément le pilier de leur pouvoir...
Finalement, le recteur de Thammasat a dû céder : juristes et professeurs auront le droit de parler de l'article 112 sur le campus à la condition qu'ils le fassent sans déborder du "cadre académique".
"Le pouvoir se sert de l'article 112 pour museler la liberté d'expression sur Internet", nous disait récemment Chiranut Prempreecha, responsable du site en ligne Prachatai.com, qui a été par deux fois brièvement détenue par la police. On l'accuse d'avoir permis à des internautes de publier en ligne des commentaires désobligeants à l'égard de la famille royale. En novembre 2011, la condamnation d'un homme de 61 ans à vingt ans de prison, pour avoir envoyé des SMS jugés"diffamatoires" à l'égard de Sa Majesté Bhumibol, a provoqué un vent d'indignation dans les milieux libéraux. En décembre, un Américain d'origine thaïlandaise a été condamné à deux ans et demi de prison pour avoir traduit et diffusé sur la Toile une biographie interdite du roi. Livre qui démontre que ce dernier n'a eu de cesse d'interférer dans les affaires d'une démocratie décidément pas assez démocratique...
La dernière accusation en date risque aussi de provoquer un tollé : une jeune fille de 19 ans, Abhinya Sawatvarakorn, pourrait être arrêtée ce samedi pour avoir écrit des commentaires désobligeants contre la famille royale sur Facebook il y a deux ans. Elle se dit innocente et s'attend à un procès mascarade.
L'autre ironie du moment est la position inconfortable de l'actuel gouvernement thaïlandais à ce sujet : la première ministre, Mme Yingluck Shinawatra, est la soeur de l'ancien chef de gouvernement Thaksin Shinawatra, déposé par l'armée en 2006 et bête noire du palais. Il serait facile d'imaginer que la dame de Bangkok ait toutes les raisons de se déclarer en faveur d'un amendement à l'article 112. Mais ce serait méconnaître le caractère ultrasensible du débat : parce que son parti et certains de ses ministres - issus des fameuses "chemises rouges" - peuvent être à tout moment taxés d'"apostasie" monarchique, la première ministre adopte une attitude des plus prudentes. Plus royaliste que le roi, telle est son adage dans un pays où l'armée reste en embuscade. Résultat : le gouvernement ne cesse de multiplier les déclarations recommandant aux réformistes de renoncer à faire amender le fameux article !
L'universitaire Thitinan Pongsudhirak dénonce de son côté un "climat de peur" en train de s'installer dans le pays à propos du débat sur l'article 112. Il redoute même une "radicalisation" des réformateurs au cas où les pressions s'accumuleraient pour museler ce débat des plus clivants dans une société déjà très divisée.
Mais, au-delà de ces épisodes, le vrai problème est l'avenir de la monarchie : à 84 ans, le roi Bhumibol lutte contre une santé fragile après avoir été vénéré comme un demi-dieu durant ses soixante-deux ans de règne. Sa disparition pourrait ouvrir les boîtes de Pandore de la politique thaïlandaise, prolonger le débat sur l'institution monarchique, et annonce un futur imprévisible. Lourd de menaces, craint-on ici."


Source: LeMonde
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