dimanche 14 mars 2010

Quand l'adoption finit mal...

C'est l'article paru récemment dans OuestFrance sur l'échec d'une adoption qui m'a rappelé cet article bouleversant que j'avais lu l'automne dernier sur le NewYorkTimesBlog "Motherlode". Le témoignage d'une mère qui explique que l'attachement ne s'est pas fait et qui décide, après 18 mois, de chercher une autre famille adoptive pour son fils. J'avais trouvé son témoignage déchirant , j'étais dévastée à la lecture de son histoire... et en même temps, j'avais été très admirative de sa force de caractère et de sa décision. Décision qu'elle explique simplement: je voulais trouver la meilleure famille possible pour lui, même si cette famille ne pouvait pas être la nôtre...


J'ai traduit ci-dessous l'intégralité de son témoignage...
 Mon fils adopté

 "La première fois que j‘ai considéré renoncer à D., j’étais couchée seule dans mon lit surdimensionné. Il était environ minuit, mes enfants étaient endormis et mon mari était en mission. J'étais tellement bouleversée par mes pensées que je me suis levée pour courir à la salle de bain et asperger mon visage d'eau froide. Il faisait noir, mais je pouvais voir ma silhouette dans le miroir et j'ai regardé pour voir si je ne voyais pas un démon au lieu de la mère de D.
J’ai couru à la chambre de D, de peur qu'il n’ait déjà disparu. Mais il était là, couché sur ses draps « Thomas the Train », en train de sucer son pouce et la respiration régulière. J'ai caressé sa joue avec deux doigts et il a expiré. "Je t’aime mon petit homme", ai-je murmuré, et l’ai embrassé sur le front, ravalant le noeud dans ma gorge. Je suis retournée dans ma chambre sangloter dans mon oreiller.
D. était mon fils adoptif. C'est un petit garçon d'Amérique du Sud qui était arrivé dans notre foyer plusieurs mois avant cette nuit effrayante. Il est arrivé au Miami International Airport un lundi après-midi, et j'étais tellement anxieuse que, sur mes six heures de route pour aller le chercher, je me suis enfoncé les ongles dans le volant tellement fort pendant toute la durée du voyage, laissant des traces que je peux encore voir aujourd'hui. Je ne pouvais pas contenir mon excitation. Après avoir attendu de longs mois, j'avais fini par serrer et embrasser mon fils.
Je voulais adopter depuis longtemps, avant même avoir rencontré mon mari et avoir eu mes cinq filles biologiques. J'ai toujours voulu une grande famille, comme celle dans laquelle j'ai grandi en Italie, et j'aime le chaos et la vivacité de beaucoup de jeunes.
J'ai fait beaucoup de recherche sur l'adoption, y compris les problèmes d'attachement et d'autres complications que les enfants adoptés plus âgés peuvent avoir. J'ai parlé à ma thérapeute et ai subi un processus d'examen préalable approfondi avec les travailleurs sociaux afin de comprendre si, moi et ma famille, pourrions être un bon « match » pour un enfant qui avait besoin d'une famille. Nous avons été approuvés, et la longue attente a commencé. Quand ils nous ont parlé de D., j'étais folle de joie et convaincue que je serai capable d’être la mère de ce petit garçon de la même manière que e l’avais été pour mes filles biologiques.
Quand il est arrivé aux États-Unis, notre pédiatre a diagnostiqué notre fils avec quelques problèmes de santé prévisibles et quelques retards de développement. Son âge n'est pas certain - il avait été retrouvé sur le bord d'une route - mais le médecin estime qu'il étai âgé d’ un peu moins d'un an. D. manquait de force dans les jambes et avait la tête complètement plate, du fait de la position couchée dans un lit d'enfant tant d'heures par jour. Les premières semaines à la maison, les gens me demandaient souvent s'il avait subi un traumatisme crânien. D. a également souffert de coprophagie, (manger ses propres excréments), ce que mon pédiatre m'a assuré cesser pour la majorité des enfants à l'âge de quatre ans. La plupart des matins, quand je suis allé le chercher à son berceau, je le trouvais avec des excréments barbouillés sur le visage et sur la literie.



Mais les problèmes physiques ou de développement ne sont pas le vrai problème. Cinq ou six mois après son arrivée, je savais que D. ne s’attachait pas. Nous nous attendions à son indifférence envers mon mari, qui a été en mission pendant la plupart de ce temps, mais notre fils aurait dû être plus proche de ses sœurs et surtout de moi, son principal « caregiver ».
Sa travailleuse sociale, son pédiatre et son neurologue m'ont tous dit qu'il avait parcouru un long chemin, et que les questions d'attachement étaient à prévoir avec l'adoption. Mais les problèmes d'attachement de D. ne sont que la moitié de l'histoire. Je savais aussi que j'avais des difficultés de liaison avec lui. J'ai été attentive, j ‘ai fourni à D. une bonne maison, mais je n'étais pas connectée avec lui au même niveau viscéral que j'ai vécu avec mes filles biologiques. Et alors qu'il était facile, et rassurant de parler à tous ces experts des problèmes de D., c'était terrifiant de regarder mon problème. Je n'avais jamais envisagé la possibilité d’être différente avec un enfant adopté qu’avec mes enfants biologiques. La prise de conscience que je ne me sentais pas pour D. de la même manière que j'avais pour ma propre chair et de sang a ébranlé les fondements de ce que je pensais que j'étais.
J'ai cherché de l'aide et fait un peu de thérapie d’attachement, qui consistait en des exercices pour renforcer notre relation, surtout des jeux en raison de l 'âge de D. Il est tombé dans mes bras à plusieurs reprises tout au long de la journée, nous avons chanté des chansons, lu des livres, répété les paroles alors que nous avons pris contact avec les yeux. Nous avons construit des châteaux et des tours de bloc et nous nous sommes rendus à un cours « maman et moi ».
Pourtant, je me débattais. Un jour (je ne sais toujours pas exactement ce que ce jour avait de différent), j'étais au téléphone avec Jennifer, notre travailleur social, qui a simplement demandé "what's up" lorsque j'ai laissé échapper que je ne pouvais pas être le parent de D., que les choses ont été trop dures.
Dès que j'ai dit ces paroles à voix haute, un flot d'émotions est monté en moi, et j’ai pleuré, tenant le téléphone à deux mains. Jennifer n'a rien dit, elle a attendu patiemment, et quand j’ai eu fini de pleurer, elle m'a demandé de commencer depuis le début. Nous avons parlé de ma famille, des problèmes que mon mari et moi avions avec D. et, par conséquent, les uns avec les autres, avec les filles et leur indifférence partielle envers D., et sur certains des problèmes spécifiques de mon fils.
Durant les prochaines semaines, Jennifer et moi avons parlé tous les jours. Elle a surtout écouté et m'a dit de mettre l'accent sur D., dont l 'avenir et le bien-être passait par-dessus tout. Finalement, je lui ai dit que je regarderai eventuellement les profils de familles intéressées, tout en soulignant que je n'étais pas encore décidée, en considérant seulement les options.
Mes pensées et mes émotions étaient disjointes et arrivaient par vagues. Un moment, j’étais décidée à garder D. parce que je l'aimais. L’ instant d’après, je réalisais que je n'étais pas le parent que je pouvais être, et que je devrais placer D. dans une meilleure famille, avec une meilleure mère.
Pendant que je me débattais avec ces démons, les choses étaient très tendues dans mon foyer, bien que mon mari était absent, nous nous disputions sans cesse. Je sentais que je nageais devant, jusqu'à un beau matin où Jennifer a appelé, et m'a dit qu'elle avait trouvé une bonne famille pour D. Ils avaient vu ses photos, étaient informés de sa situation, et sont tombés amoureux de lui. La maman, Samantha, est psychologue, et la famille avait adopté un autre garçon avec des problèmes similaires quelques années auparavant.
J'ai parlé avec Samantha et son mari quelques fois au téléphone et dès le départ je me suis sentie à l'aise avec eux. Lors d'une de nos conversations, nous avons décidé qu'elle viendrait à la rencontre de D. par elle-même, pour faciliter la transition.
Cela signifiait que la décision était définitive. D. quitterait ma maison.
En attendant l’arrivée de Samantha, Jennifer m'a aidé à parler à mes enfants, à des membres de la famille, même à des étrangers, mais surtout, elle m'a tenu la main quand le moment est venu de parler avec mon fils. Je lui ai expliqué qu'il allait rejoindre sa nouvelle famille et que nous l’aimions beaucoup - qu'il n'avait rien fait de mal. Je ne sais pas ce qu’il a compris en raison de son jeune âge et parce qu'il n'a jamais réagi à mes paroles.
Pour ma première rencontre avec la nouvelle maman de D., j'étais une épave. J’ai habillé D. dans l’une de ses plus jolies tenus, polo blanc et un pantalon bleu, l’ai sanglé à son siège d'auto et nous sommes partis à la rencontre de Samantha dans un McDonald's à proximité.
Le trajet en voiture a été court, mais à chaque fois que je m'approchais d'un feu de circulation, le chagrin m'a assaillie, et j’ai fait demi-tour, déterminée à retourner à la maison et à garder D.
Les cinq minutes de trajet devinrent 30 minutes de trajet, et quand j'ai finalement réussi à atteindre le stationnement du McDonald's j'étais crevée. Mes mains tremblaient, j'avais la bouche sèche, et mes yeux étaient rouges. Samantha nous a reconnus dès que nous sommes sortis de la voiture et s’est précipitée. Ses yeux se sont éclairés dès qu'elle s’est approchée de D., et elle s’est baissée à sa hauteur pour l'embrasser.
Au cours des prochains jours, Samantha et D. ont appris à se connaître mutuellement, et le moment vint pour lui de partir avec elle. Ce matin-là, je l’ai lâchement laissé entrer dans la maison ; j’aurai voulu que le temps s’ arrête. Avec mes mains tremblantes, je lui ai donné D.: un sac et certains de ses jouets préférés. Mes filles regardaient Bob l'Eponge et ont dit au revoir à leur frère presque nonchalamment, comme s'il allait sortir un peu et être bientôt de retour.
J'ai ouvert la porte de ma maison au ralenti. Elle était lourde et mes pieds restaient collés au sol. Samantha m'a dit qu'elle me laissait quelques minutes seule avec D. et s’est dirigée vers sa voiture. Je me suis agenouillée et j’ai attiré D. vers moi, m'acharnant à vouloir marquer un souvenir impérissable de mon fils en moi, et moi en lui, respirant son odeur, sentant sa peau douce et touchant sa chevelure crêpue. Dans nos derniers moments ensemble, je l’ai regardé dans les yeux et lui ai dit que je l'aimais et que j'avais essayé de faire de mon mieux.
Sa nouvelle maman allait l'aimer tellement, tellement, mon petit homme serait OK.
Il n’a pas pleuré, il m’a regardée, puis il a regardé Samantha et demandé plus de jus. J'étais trop bouleversée pour prononcer un mot, mais Samantha m'a serré la main et m'a rassuré que D. savais que e l'avais aimé et que j'avais fait du bon travail.



Les semaines suivantes, j’ai ressenti un mélange d'émotions, de désespoir, soulagement, tristesse, culpabilité, honte, et pour finir, l'acceptation. Au bout de quelques mois dans la maison de Samantha, j'ai appris que D. se portait bien et qu’il s'adaptait à sa nouvelle vie. Il a été aux prises avec certaines questions, mais je sais que Samantha et son mari sont les meilleurs parents que D. pouvait éventuellement avoir. Ils ont fait de grands efforts pour l’adopter légalement, pour lui souhaiter la bienvenue dans leur maison et lui fournir les meilleurs soins qu'il peut recevoir. Le fait qu'il a aussi un frère qui a des problèmes similaires a rendu la transition plus facile. Samantha m'a dit que D. ne peut se passer de son frère ou de l'attention de son papa.
Mon mari m’avait initialement demandé de ne pas écrire sur D., parce que je m’exposerais ainsi à la critique. Mais finalement, j'ai écrit cet essai parce que D. m'a beaucoup appris sur moi et sur la parentalité et parce que j'espère que d'autres, en partageant cette expérience, pourront se sentir moins seuls dans leurs échecs. D. a dégonflé mon ego en me montrant mes limites. Grâce à mon petit bonhomme, j'ai plus de compassion pour les erreurs que nous commettons en tant que parents, et je suis beaucoup moins disposée à pointer du doigt les difficultés des autres.
Je suis encore en train de tenter de digérer cette expérience et je crois que ça prendra du temps.
Je n'ai rien gardé du temps que D. a passé avec nous. Samantha ne voulait pas de ses vêtements, je crois qu'elle a préféré prendre un nouveau départ, alors j'ai tout donné à l'Armée du Salut. Nous n'avons pas de photos de D. chez nous parce que mon mari pensait que ce serait trop difficile, mais dans mon portefeuille, je porte un petit portrait de D., photo que j’ai prise après sa première coupe de cheveux chez un barbier. Quand je pense à lui, je sors la photo et je le regarde dans ses grands yeux noirs et une infinie tristesse, profonde, emplit mon coeur.
Je te remercie mon petit D. , pour tout ce que tu as été pour moi, pour nous. Malgré mes échecs, je t’ai aimé le mieux que je pouvais, et je ne t’oublierai jamais."

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6 commentaires:

  1. Les enfants adoptés en Ethiopie finalement abandonnés.

    Kim Myung-Sook a aussi publié sur son blog Fabriquée en Corée l'article que vous avez traduit en français.

    Septembre 2004.
    En France, la Direction générale à l'action sociale (DGAS) et le Ministère de la Santé avaient décidés à "quantifier" les échecs de l'adoption.
    Une étude avait été commandée à la psychosociologue Catherine Sellenet. Pour x et y raisons, cette recherche a été suspendue.

    Néanmoins, en 2009, Catherine Sellenet publiait son ouvrage "Souffrances dans l'adoption".

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  2. Bonjour!
    merci Zench pour cette précision et pour la qualité de tes infos. Je ne connaissais pas le blog "fabriquée en corée" et suis allée y faire un tour! Elle a ajouté de scommentaires à l'article, pour ceux que ça intéresse.
    Et merci pour les infos sur les stats de l'échec dans l'adoption; je pensais en chercher, pour compléter par un autre post plus tard... et voilà la réponse est arrivée!
    Un grand merci pour ta contribution
    Kakrine

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  3. Oui c'est indéniablement bouleversant mais j'aimerai connaître ton avis sur ce témoignage quand tu auras passé 18 mois avec ton enfant.
    Je ne juge pas mais pour moi c'est complètement incompréhensible et injustifiable cette décision et je ne peux pas du tout me mettre à la place de cette femme...
    Bises
    Virginie, maman d'Anaïs

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  4. Pour tout t'avouer, Virginie, moi non plus, je ne PEUX pas un seul instant me mettre à sa place. Je suis estomaquée que cela arrive, que cela soit possible... Avant de lire ce témoignage, je n'avais même pas IMAGINE que cela puisse être possible. Pour moi l'adoption c'est pour toujours, et les difficultes, elles se surmontent... il ya de spros pour se faire aider.
    Et en même temps, j'ai trouvé courageux qu'elle en parle. Parce que visiblement ça arrive, et apparemment, au vu des stats données par Zench ci-dessus, ce n'est pas rare, ce que je trouve complètement fou...
    Mais l'article de Ouest-France est encore plus hallucinant...car il exprime un rejet pur et simple qui est vraiment flippant.

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  5. Je n'avais pas lu l'article de Ouest France... ohlalala c'est encore pire. C'est là qu'on se demande comment ces gens ont pu avoir un agrément (en plus pour 2 enfants d'un coup !).
    Je suis sans voix.

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  6. Moi aussi ... ça pose effectivement le porblème de l'agrément, et ensuite, le problème du "matching": visiblement, l'américaine n'était pas en mesure d'accueillir un enfant avec autant de problèmes pychologiques... d'où vient l'erreur? pas seulement de la mère en l'occurence...c'est vraiment terrible.

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