samedi 12 décembre 2009

Des adoptés à la recherche de leur passé

Dans son numéro ce jour, LaCroix publie un important article sur l'adoption, en donnant largement la parole aux adoptés; ce qui est un angle un peu novateur sur le sujet.

Mais comme le site n'est accessible que pour les articles du jour, je me permets ici de reproduire les trois articles in extenso, un post pour chacun. LaCroix
Cette série de trois témoignages est particulièrement touchante... et lucide. "Je l’ai aussi remerciée de m’avoir permis d’être adopté, car je sais ce que j’ai évité. Ce qui compte, c’est qu’elle ait gagné en dignité dans son quartier, car j’ai pu dire autour d’elle que je ne la jugeais pas mal. ». Tout tient dans cette phrase, à la fois l'amour, la reconnaissance, la compréhension, le pardon, l'humilité et la lucidité. Je suis très admirative de la capacité de Guilherme-Luc (que je ne connais pas!) à avoir aussi pleinement conscience de la place de chacun...inclus la sienne. Et de sa capacité à donner du respect et de la respectabilité à sa mère biologique. C'est vraisemblablement quelqu'un de très structuré. Quel cheminement pour trouver cet équilibre?

Des adoptés à la recherche de leur passé
Pour bien des adoptés, il est difficile de construire un avenir sans connaître ses origines. Récit de trois parcours parfois douloureux
Alors que le gouvernement réfléchit à un « accouchement protégé » pour tenter de répondre aux demandes des enfants nés sous X et qu’un projet de loi sur l’adoption est toujours en débat au Parlement, La Croix donne la parole à des personnes adoptées en France ou à l’étranger. Leurs cheminements respectifs reflètent la diversité des situations et la persistance du désir de connaître son passé.
Raphaël, des racines dans la misère- « La vérité qui blesse »
Petit, Raphaël Lebold n’avait pas l’once d’un souvenir de son arrivée de Pologne à 2 ans, avec un frère de deux ans son aîné, dans sa famille alsacienne. Tout ce qu’il sait alors, ce sont les rares éléments connus de ses parents adoptifs (ses parents d’origine sont morts dans un accident). Les questions viennent plus tard. « À 19 ans, mon frère et moi avons demandé à nos parents notre dossier d’adoption, relate le jeune homme, aujourd’hui âgé de 24 ans. J’avais surtout envie de retrouver des frères et sœurs en Pologne. Je suis allé au Service central d’état civil à Nantes, et j’ai appelé l’orphelinat d’où je venais. En vain. Il n’avait plus un seul papier sur nous. À l’époque du rideau de fer, on ne gardait rien. » Pendant que Raphaël remue le peu d’éléments qu’il a et parvient à récupérer l’adresse de ses parents biologiques (il apprend que sa mère est vivante), l’une de ses sœurs polonaises fait des recherches en parallèle pour retrouver ses petits frères adoptés.
Ces démarches conjointes finissent sur un bureau du Service central. Raphaël est mis en relation avec Anja, cette sœur de trois ans son aînée. « Je ne savais pas trop par quoi commencer, ce n’était pas possible de la bombarder de questions, se souvient-il. Par Internet en vidéo, je me suis aperçu que je lui ressemblais. » Avec son teint mat, le jeune homme ne s’était jamais cru polonais. « J’ai découvert que j’étais gitan, et j’en suis fier… Quand je travaillais dans un kebab, on me prenait même pour un Turc ! » Il apprend d’autres nouvelles, plus rudes. De nombreuses souffrances traversent l’histoire familiale : son père s’est suicidé ; sa mère s’enferre dans un alcoolisme violent.
Raphaël s’envole vers l’Est peu après, un petit dictionnaire franco-polonais en poche. « Quand j’ai vu ma mère là-bas, elle était dans un tel état, à cause de l’alcool, qu’elle ne m’a pas reconnu, confie-t-il sans ciller. Après, elle a compris. » Elle attendait qu’il vienne vers elle dans un coin du salon, une pièce pleine de pauvreté et de mauvais souvenirs. « Mais moi, je ne voulais pas la prendre dans mes bras ; elle a quand même frappé ses enfants ! Elle s’est mise à genou. J’ai fini par lui pardonner. De toute façon, je ne la verrai plus. »
Il ne la verra plus, mais « il y a quand même la vérité qui blesse ». La vérité mise à nue. Raphaël voit ses frères désœuvrés et qui ont versé dans l’alcool. Il découvre une autre sœur, la jumelle d’Anja, qui « a eu quatre enfants avec quatre pères différents ». Celle-ci les a abandonnés et se trouve à nouveau enceinte. « Je lui ai dit : “si tu mets encore à l’orphelinat le bébé que tu portes, je reviens et ça va mal se passer” », raconte Raphaël. De retour de cette expérience qui « endurcit », il affirme ne pas regretter d’avoir été adopté. « Si c’était pour finir comme mes frères là-bas… Et puis je préfère avoir eu cette histoire qu’une histoire banale. »Seule Anja a réussi à construire sa vie, tirée de chez elle à 15 ans par celui qui deviendra son mari. «On a découvert qu’on avait tous deux un peu le même caractère.» Un caractère « indépendant », que Raphaël a renforcé très tôt. Dès 14 ans, en travaillant dans les champs de houblon, de tabac, ou dans les restaurants de tartes flambées pour « gagner un peu (sa) croûte ». Plus tard, en s’engageant dans l’armée comme parachutiste. Au Tchad, transmetteur dans une mission « au service des autres », il a appris « à ne pas se la jouer ».
Aujourd’hui, Raphaël tisse doucement des liens avec Anja, qui se souvient encore « du jour où la police est venue nous chercher à la maison pour nous mettre tous les cinq à l’orphelinat, rapporte Raphaël. Elle m’a raconté qu’elle devait nous bercer pour nous rassurer. » À l’avenir, il aimerait « aider financièrement » la structure d’accueil. Désormais auto-entrepreneur avec sa compagne à Tarbes, Raphaël sera lui-même bientôt papa. Quand il a prié sa grande sœur polonaise d’être la marraine de son fils, « elle a pleuré », sourit-il.
Graciane, une cicatrice en forme de X - Le temps joue contre elle
Le temps est compté pour Graciane. À 57 ans, cette Rouennaise, née sous X dans une maison maternelle parisienne, cherche la femme qui l’a mise au monde. « Elle doit avoir dans les 77 ans aujourd’hui. Le temps joue contre moi mais je ne m’arrête pas. » Graciane a toujours été tenaillée, depuis l’âge de 11 ans, par le désir d’exhumer ses origines. « Non pas pour trouver une famille, mais pour savoir d’où je viens, glisse-t-elle. La cicatrice est là. Il est difficile de se construire un avenir quand on ne connaît pas son passé. »
Non que ses parents adoptifs l’aient privée de tendresse. Recueillie dans une famille aisée, ayant reçu une « éducation catholique, bourgeoise », Graciane dit même avoir eu de la chance d’être adoptée. Mais une enfance sans accrocs ne résout pas « le problème des origines ». « Tous les matins quand on se regarde dans la glace, on ne sait pas à qui on ressemble, observe-t-elle. Et il y a un vide énorme. »
Un grand trou dans la mémoire, qui s’est ressenti sur ses études. À l’école, l’enfant se sentait différente des autres. À la maison, sa sœur semblait éloignée de ses préoccupations. Pourtant, elle se remémore avec émotion son père adoptif. « Lorsqu’il est mort il y a dix ans, j’ai eu l’impression d’être à nouveau abandonnée. Quand vous avez été bordée avec amour tous les soirs étant enfant, c’est sûr que tout s’écroule autour de vous. »
Sa quête des origines a commencé après avoir fondé elle-même une famille, à partir des années 2000. Pourquoi pas plus tôt ? « Je ne me sentais pas prête. » Entre-temps, elle a passé un monitorat et s’est épanouie comme professeur de sport, pratique le judo, le tennis, et plus encore l’équitation. Graciane finit par s’investir dans l’association « X en colère ». Là, elle accompagne d’autres femmes sur les traces de leurs origines. C’est par le biais d’une émission qu’elle-même acquiert les premiers éléments de son histoire, orientée vers la piste d’une mère kabyle.
« Une femme, qui avait également accouché sous X, évoquait à la télévision la “maison maternelle” où j’étais née moi-même, raconte Graciane . Alors j’ai écrit à la chaîne pour entrer en contact avec cette personne. Elle disait qu’elle avait bien connu ma mère pendant six mois. Quand elle m’a vue, elle semblait frappée par la ressemblance avec ma mère, surtout les cheveux, paraît-il. Elle m’a affirmé que ma mère disait toujours “si c’est une fille je l’appellerai Graciane ”… » Après des recherches menées grâce à l’appui d’amis établis en Algérie, Graciane s’aperçoit finalement qu’elle s’est lancée sur une fausse piste. Très déçue, elle n’abandonne pas. Sa mise à la retraite précoce, à l’âge de 49 ans, lui offre à nouveau du temps. Sa dernière fille l’aide un peu dans ses investigations. En vain, jusqu’à présent.
Il y a quelques années, si Graciane avait retrouvé sa mère, elle lui aurait sans doute déclaré que son abandon était « lamentable », qu’elle lui en voulait. Mais après avoir côtoyé de nombreuses « mères de l’ombre » au sein des « X en colère », la militante dit avoir évolué. Aujourd’hui, c’est l’envie de dissiper un éternel flou qui l’habite. « Je voudrais savoir plein de petites choses idiotes sur ma mère ; était-elle douée pour le sport, qu’aimait-elle manger ? Quand on n’est pas en possession de ses informations génétiques, c’est comme un arbre sans racines, ça ne tient pas debout… » Pour l’heure, Graciane se consacre à ces autres personnes qui ont, comme elle, un « X scotché sur le corps ».
Guilherme-Luc, l’appel de la pampa « Je sais ce que j’ai évité »
« À quelle heure tu es né ? » Dans la cour son école primaire de Montpellier, Guilherme-Luc Malet aurait bien aimé répondre. « C’est un petit détail qui m’a tout le temps tracassé », avoue-t-il. Sa mère célibataire ne lui a pourtant jamais caché ses origines. Elle le recueille petit chez les sœurs missionnaires de Juiz de Fora, au Brésil, le ventre rond en raison de carences alimentaires. Deux ans auparavant, elle a aussi adopté une petite Brésilienne, plus tard gravement handicapée, et peu à peu paralysée.
Lui dispose de son certificat de baptême portant le nom de ses parents d’origine. « Maman me racontait ma venue du Brésil, et j’assumais le fait d’être adopté, avance Guilherme-Luc, dont le prénom porte le chaînon de la double nationalité. C’est vis-à-vis de l’extérieur qu’on doit se justifier, à cause de sa couleur de peau, ou lorsqu’on remplit des papiers en indiquant son lieu de naissance. » L’absence de père se fait peu ressentir dans son enfance. Sa mère a à cœur de la combler par des référents masculins. « Elle faisait en sorte que je rencontre beaucoup mon oncle et mes grands-parents, détaille le jeune homme de 26 ans. J’ai aussi fréquenté la maisonnée Saint-Joseph, un patronage religieux où j’ai trouvé un certain équilibre par une présence masculine. »
À force de fréquenter des Brésiliens, Guilherme-Luc se laisse plus tard gagner par l’envie de retourner vers son passé. Les sœurs d’une de ses amies, établies là-bas, parviennent à repérer sa famille en appelant la pharmacie de sa ville natale. Celle-ci vit dans les favelas. Guilherme-Luc réussit alors à la joindre. Sa mère, trop pauvre, lui explique à distance qu’elle ne pouvait pas l’assumer bébé, et qu’il était malade. Elle lui avoue aussi l’avoir vendu, avant qu’il ne se retrouve chez les sœurs missionnaires. « On ne peut pas juger l’acte de quelqu’un qui n’a rien à manger, estime Guilherme-Luc. Elle ne m’a pas vendu pour acheter une montre, et je dis parfois avec humour, “c’est pour ça que je suis aujourd’hui un bon commercial !” »
La rencontre avec son père séparé de sa mère est forte. Et puis, parce qu’en France, il se sent à demi fils unique (« Avec ma sœur handicapée, on se comprend par le sourire et le regard », dit-il), il est attendri par sa plus jeune sœur là-bas, qui a 12 ans. Le Brésil lui dévoile aussi le dénuement des favelas, une culture métissée, loin des étroites images « de football et de Copacabana ». Touché, le jeune Franco-Brésilien retourne l’année suivante fêter Noël, un « Noël en tongs », dans cette autre famille de la pampa.
Depuis, Guilherme-Luc écrit, téléphone souvent mais s’efforce aussi de maintenir une certaine distance. « Ma mère biologique voudrait que je revienne au Brésil, mais je lui ai dit que ma vie était en France, qu’on ne peut pas tout mélanger. Je l’ai aussi remerciée de m’avoir permis d’être adopté, car je sais ce que j’ai évité. Ce qui compte, c’est qu’elle ait gagné en dignité dans son quartier, car j’ai pu dire autour d’elle que je ne la jugeais pas mal. »
Celui qui a toujours eu l’impression d’être « né en descendant de l’avion » travaille maintenant dans l’aéronautique, après une formation de steward. Cloué au sol pour le moment à cause de la crise, il espère en secret être recruté par Air France pour s’envoler très vite vers des terres éloignées, en particulier le Brésil. Un pays qu’il a su faire sien. « Même si le plus important, ce sont les liens du cœur, je pourrai plus tard raconter à mes enfants pourquoi j’ai du sang brésilien qui coule dans mes veines. » Il saura même leur dire, s’ils lui demandent, qu’il est né un 3 juin à midi trente.
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3 commentaires:

  1. Il serait intéressant d'avoir beaucoup plus de témoignages d'enfants (adoptés) qui ont pu construire leur identité sans connaître des origines ou des géniteurs. Car il y en a beaucoup. J'en ai rencontrés. Mais quand ça se passe bien, on oublie de le dire et on laisse la place à ceux qui ont des problèmes et qui ont tendance à vouloir faire croire que c'est une généralité.
    Je pense qu'il ne faut pas chercher un prétexte trop facile à son mal être, à savoir de dire que tout vient de son abandon et adoption. Beaucoup de gens sont mal dans leur peau et n'arrivent pas à construire leur identité sans avoir été abandonnés et adoptés. Rien ne dit que les enfants adoptés mal dans leur peau ne le seraient pas de toute façon sans avoir été adoptés. Dans le cas de l'adoption, il est alors facile de trouver une raison et de construire dans sa tête toute une justification souvent appuyée par un inconscient collectif.

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  2. Le sang n'a pas de nationalité. Le sang est universel et chaque être humain est unique ! Je me rends compte à quel point certains ont besoin de donner un sens à leur vie. Pour se rassurer et oublier les manques (inhérents à toute vie humaine), on peut se raccrocher à la religion, comme aux gènes ... Que de prises de têtes et quel dommage !

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  3. Je laisse la parole au poète Rainer Maria RILKE :

    "Nous naissons pour ainsi dire provisoirement quelque part et c'est peu à peu que nous composons en nous le lieu de notre
    origine ; pour y naître après coup et chaque jour plus définitivement".

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