Ci-dessous une analyse du magazine Gavroche sur la situation politique en Thaïlande...
"Le problème est que la Thaïlande doit aujourd’hui, simultanément, affronter trois crises différentes.
L’une, internationale, est économique et financière. Elle n’a rien à voir, ou presque, avec la bataille rangée entre « jaunes » et « rouges », mais complique sérieusement la tâche du gouvernement actuel, car elle réduit sa marge de manœuvre. Impossible, en effet pour ce dernier de ramener le calme dans les provinces déshéritées du Nord-est sans bourse délier. Or le budget Thaïlandais, comme celui des autres pays de la région, est aujourd’hui sous pression. La générosité d’Abhisit, alors que les exportations chutent et que les revenus du tourisme baissent, se voit limitée d’autant. Même s’il le voulait, le Premier ministre n’a pas les moyens de rivaliser avec le populisme matiné de subventions des années Thaksin. La crise économique, de ce point de vue, rend par trop inégale la concurrence politique entre les deux hommes.
La seconde crise est institutionnelle. Toutes les institutions, de la monarchie à la justice en passant par ces piliers du pouvoir réel que sont l’armée et la police, sont ébranlées. Le besoin d’un nouveau ciment est criard, pour permettre à l’Etat de droit thaïlandais - ou ce qu’il en reste - d’encaisser le choc « rouge-jaune ». Or l’on voit mal, pour l’heure, qui peut manier la « bétonneuse miracle » avec succès.
Abhisit, crédité par ses partisans d’avoir su recourir à la force pour briser le siège de « Government House », n’en reste pas moins perçu comme un Premier ministre faible, soumis aux aléas des coalitions parlementaires et fragilisé par le travail de sape d’une partie des forces de l’ordre. Le Roi a choisi de rester silencieux. Les chefs de faction, au sein de la Chambre des députés, sont trop occupés à préserver leur chances pour l’avenir. Les généraux ne se sont pas remis de l’échec de leur passage au pouvoir après le coup d’Etat de 2006. Un sentiment de vide s’est installé. Il ne signifie pas que le pays part à vau l’eau. Il ne signifie pas non plus que le désordre y règne en maitre. Il signifie juste que la félure des années Thaksin est profonde. Et que pour le moment, la Thaïlande ne semble pas disposer de l’appareillage nécessaire pour recoller les morceaux.
La troisième crise est celle engendrée par la logique du pire dans laquelle Thaksin a choisit de plonger son pays. L’ex-milliardaire si soucieux de dissimuler jadis au fisc thaïlandais la revente de son groupe ShinCorp, surfe maintenant ouvertement sur l’exacerbation des tensions politiques et sociales. Lorsqu’il était au pouvoir, l’homme avait fini par s’isoler de ses conseillers, et par accorder une importance démesurée à son clan, comme si le pays du sourire était devenu son Royaume. Désormais en exil, il n’a en rien changé. A Dubaï ces derniers jours, ses mots n’ont jamais été ceux de l’apaisement. Son registre est celui du combat jusqu’au bout. Peu à peu, les « jaunes » comme les « rouges » se sont convaincus mutuellement que la défaite de l’adversaire doit être totale. Avec, pour Thaksin, un énorme enjeu financier à la clef : seul un retour au pouvoir de lui-même ou de ses affidés, croit-il, peut lui permettre de récupérer une partie de ses avoirs gelés.
Cette logique du pire est le plus grave des défis. Car elle a ravivé des vérités et des aspirations enfouies. Elle a fait des frustrations réelles d’une partie de la classe moyenne thaïlandaise - celle des petits entrepreneurs - le lit de son succés. Elle a peu à peu remplacé les sourires par des poings levés. Elle alimente, en sous main, toutes sortes de forces de l’ombre. Elle menace de rendre le Royaume « amok ».
Cette logique du pire oblige aussi à regarder la réalité en face. A distinguer les revendications politiques des manipulations. A changer de focale lorsqu’on traite du cas Thaksin. L’homme, en clair, est devenu trop dangereux, trop porteur de ressentiments d’un côté et d’adhésion de l’autre, mais aussi trop bien connecté à tous les niveaux de l’appareil d’Etat, pour que le gouvernement attende qu’il veuille bien se taire, ou qu’il se décourage. Des initiatives doivent être prises pour désamorcer la bombe permanente qu’il agite. Plutôt que de dénoncer son chantage et ses attaques, l’administration actuelle doit avant tout chercher à l’isoler de son camp, et à le dissocier de la machine politique « rouge ».
Comment ? En abordant, au plus vite, la question de ses biens confisqués et de leur éventuelle restitution. L’ancien Premier ministre a prouvé, tout au long de sa carrière, que l’argent était l’un des moteurs les plus sûr de son action. C’est donc sur ce terrain, aujourd’hui et sans état d’âme, qu’il faut peut-être accepter de revenir. Les « jaunes » crieront au scandale et menaceront sans doute de revenir dans la rue si l’ex-milliardaire n’est pas dépossédé de sa fortune indûment accumulée puis exonérée d’impôt. Mais à ce niveau de haine mutuelle, la seule trève possible pourrait bien être celle du carnet de chèque. "
pour en savoir plus, Gavroche
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